La parole est à Mr Mathieu Boccara, propriétaire des Deux Tours Marrakech

Article written on 13th février, 2022

Racontez-nous l’histoire des Deux Tours :  L’idée première était de construire un ensemble de villas au cœur de la Palmeraie. Nous sommes au début des années 90, mon père, Charles Boccara élabore les plans architecturaux de ce projet immobilier. C’est en 1998 que l’histoire des Deux Tours commence vraiment et trouve sa place dans son style de maison d’hôte élégante. La destination Marrakech explose en 2000, de nombreux journalistes français s’intéressent aux nouveaux concepts hôteliers de la ville ocre. Les riads et les hôtels de charme fascinent et c’est pour son style unique, que Les Deux Tours gagne en notoriété par le biais de la presse.

Comment définiriez-vous l’architecture des Deux Tours ? Une œuvre architecturale qui se compose de dédales mystérieux, d’agencements de palais et de demeures ombragées couvertes de végétation. Une accumulation pléthorique de cours, de jardins, de loggias, de bassins, de chicanes, de salons, de passages détournés et multiples, liée à une forme de pratique de la mise en scène, où se dessine des actions précises, des événements définis qui se voient projetés dans un décor. Ici, un lieu cosy pour prendre le thé ; là, un b’hou pour s’allonger ou faire la sieste ; ici une loggia où déjeuner l’hiver ; là, une jolie place au frais à l’abri des rayons de soleil en été. Le cadre se confond à la scène qui s’y joue, telle une somptueuse scénographie. Une architecture composée de séquences qui va avec le Maroc contrasté que l’on connait. Entre les jardins, les cours et les patios, on repère d’autres petits jardins à l’intérieur d’un grand jardin, tel un labyrinthe ; l’intensité de la lumière et de la chaleur des extérieurs, en opposition avec les ombres et la fraicheur des intérieurs ; l’aridité de la palmeraie, opposée à la volupté d’un jardin verdoyant.

Et son identité culturelle ? Il y a une grande part de romantisme à l’oriental aux Deux Tours. Un lieu qui a su conserver la mémoire. La mémoire d’un Marrakech oublié, celle d’un pays avec une forte tradition architecturale, dans laquelle on peut retrouver l’inspiration arabo-andalouse. L’hôtel fait partie de ces lieux rares, où l’on ne souhaite pas tout exposer d’un coup. Peu à peu, on découvre les choses de manière naturelle.

Quelles ont été les grandes étapes pour donner vie à ce que l’on connait aujourd’hui des Deux Tours ? Je préfère parler de faisceau d’interventions ultra régulières, plutôt que de grandes étapes. L’objectif est d’améliorer le produit sans toucher à son âme. Côté architecture, nous sommes dans la continuité de mon père. Nous utilisons toujours les matériaux traditionnels, tel que le Zellige Fassi au sol, ou le Tadelakt Marrakchi comme enduit. Ma touche à moi, c’est d’apporter de la lumière. En quelque sorte, j’éclaircis ! A part les nouvelles Suites d’Exception #40, #41 et #42, mon empreinte est finalement minime dans l’ensemble de la maison. La demeure est restée telle quelle et son esprit est identique.

Et votre rôle dans tout ça ? Un ‘Maître de maison’. Malgré toutes ces années, je continue à voir tous les détails avec un œil qui ne se fatigue jamais. Je donne les grandes lignes à mon directeur général et à mes différents collaborateurs. L’équipe a besoin de ma vision et de mes connaissances locales. Vous savez, toute cette aventure est d’abord humaine et collective. Chaque homme et chaque femme a son rôle aux Deux Tours et c’est essentiel.  

Quels sont les challenges lorsqu’on est propriétaire d’une telle demeure ? L’un de mes challenges est de faire progresser en permanence la propriété. L’évolution doit être constante. Lorsqu’on arrête la progression, on descend ! On ne stagne pas, ce n’est pas vrai, on tombe ! J’ai besoin de faire vivre le produit, le faire exister. Finalement, Les Deux Tours est un perpétuel projet en mouvement. Insuffler de nouvelles idées, être créatif au niveau de l’offre hôtelière, de l’hébergement en lui-même, de la restauration. Montrer à nos hôtes notre capacité à nous renouveler et les surprendre sans changer le lieu sont de véritables défis. En fait, nous sommes des scénaristes qui devons mettre en scène de nouvelles idées, de nouvelles expériences. C’est notre rôle. Dans cette mise en scène, je ne touche pas réellement le produit et ça rassure nos clients.

Des projets dans le futur proche ou lointain ? (Sourire). Votre question me fait sourire, car normalement je déborde de projets. Mais avec ce que nous vivons actuellement, j’ai l’impression d’avoir les jambes coupées ! Et encore, j’ai tenu un long moment. Mais là, j’ai besoin de créer de nouvelles mises en scène ! Un projet de barbier en plein air est en cours. Il devrait surprendre nos clients habituels et leur faire vivre une expérience inhabituelle. Imaginez, se faire tailler la barbe dans le jardin, caresser par la douceur du soleil et la mélodie des oiseaux… Un autre projet qui me tient à cœur est la création de 6 géantes végétalisées dans le jardin. Je n’en dirai pas plus… On a dit qu’on voulait surprendre nos clients😉 Dans un autre registre, j’aimerais continuer à donner l’esprit vintage à la déco créé il y a 2 ans dans certaines Suites, en rajoutant des pièces rétros années 60/70 qui se marient très bien avec le style arabo-andalous. Au fil du temps, nous devrions aller vers un concept plus Boutique Hôtel.

Quelle est votre définition du luxe dans l’hôtellerie ? L’exclusivité ! On peut se sentir exclusif dans un Palace, mais je me sens tout aussi exclusif à Sidi Kaouki, dans le petit village de Ouassane, lorsque Si-Mohamed m’ouvre la porte de sa petite maison en pierre et qu’il m’offre le privilège de dormir face à la mer. Le matin, il me sert sur un plateau en zinc le petit-déjeuner. Pain chaud sorti du four, huile d’argan, miel… Là, j’ai l’impression de toucher un luxe encore plus exceptionnel que dans n’importe quel Palace au monde. Le luxe se définit aussi par l’élégance, par une certaine forme de sensibilité à l’élégance et au raffinement. J’aime aussi dire que le luxe réside dans les espaces perdus.

Votre coin préféré aux Deux Tours ? La Pergola. J’aime y déjeuner avec ma famille.

Votre chambre ou suite préférée et pourquoi ? J’aime beaucoup la Suite So Chic pour ses volumes. D’ailleurs, il y a ici une définition du luxe que je trouve intéressante par la hauteur. On rejoint cette idée que le luxe peut résider à la fois dans les espaces et dans les volumes perdus. Après, je reste très sensible aux vieux Deux Tours, à certaines chambres en étage, comme la #18 de la villa Galerie. Là on touche complètement l’âme de la demeure qu’il faut faire progresser et qu’il faut absolument garder. Le charme est particulier, d’ailleurs certains hôtes y sont très sensibles.

Les Deux Tours en quelques mots : Une forme de village mystérieux, à la fois romantique et poétique, où l’architecture et les jardins se confondent, et où cultiver la paresse et la gourmandise est un art de vivre. 

Depuis quand êtes-vous au Maroc ? j’y suis né « ana weld le bled » (= Je suis le fils du pays). Mon père a grandi à Casablanca. Il a quitté le Maroc pour étudier l’architecture en France et une fois diplômé, c’était une évidence pour lui de revenir au pays. Dans un premier temps, il a travaillé dans des grandes agences d’architecture à Casa. Quelques années plus tard il décide de s’installer à Marrakech, au début des années 70. Il fait toute sa carrière dans la ville ocre, il n’est plus jamais parti. Moi, je suis né à Casablanca, mais j’ai vécu toute ma vie à Marrakech, sauf durant ma période d’étudiant à Paris durant 7 ans. Après mes études dans une école d’architecture, je suis rentré chez moi, à Marrakech, évidemment ! Je n’ai jamais pu vivre trop longtemps hors du Maroc ! Je suis profondément attaché à ce pays qui ne me lâchera pas et que je n’imagine pas lâcher non plus. Nous sommes liés passionnément et pour la vie.  Il y a de fortes chances que ce soit pareil pour mes enfants. Inchaallah.

Votre quartier préféré à Marrakech ? Incontestablement la Médina. Extraordinaire par sa faune, avec ses vendeurs, ses artisans qui se mêlent à des clients d’un Palace par exemple. Sensorielle, par ses couleurs, ses odeurs et son brouhaha…L’exotisme marocain est pleinement en médina. L’histoire et le patrimoine de Marrakech sont principalement dans la vieille ville. Elle me rappelle à titre personnel des souvenirs d’enfance, mes premiers tirs de carabine sur des petites pipes en plâtre sur la place Jemaa El Fna encore en terre battue. Elle évoque aussi une vraie tradition familiale. Mon grand-père et mon père m’y emmenaient, j’y emmène aujourd’hui mes enfants. Nous aimons y manger. D’ailleurs, nous avons notre rituel à Jemaa El Fna, on commence toujours par « L’Bebouch » (= escargots), on continue par « Tihan » (= rate farcie) et ça peut finir par une tête de mouton, en fonction de notre appétit ! Quant à la question sur l’hygiène des tables de la place, sachez qu’en 46 ans, je ne suis jamais tombé malade !

Une ou deux adresses resto à nous partager ? J’aime manger au *Plus61* à Guéliz, chez Cassie. Une Australienne qui propose une cuisine healthy en toute simplicité, extrêmement inhabituelle à Marrakech. Un plat en particulier ? Il y en a plusieurs… Je conseille d’ailleurs de commander plusieurs entrées et plats à partager, concept « sharing ». Sinon, le ‘Fish of the day bok choy coconut black rice’ est excellent. Je mange aussi régulièrement chez Erwan au *Petit Cornichon*, toujours à Guéliz. Une table française bistronomique. A la fois simple, comme l’artichaud vinaigrette ou les Œufs mimosa et plus inventive, comme le homard façon « street-food », un délicieux burger surprenant et gourmand.

Un incontournable à faire à Marrakech ? Le tour en calèche. Ça fait partie de ces trucs qui paraissent basiques, comme on pourrait trouver basique un tour en bateau-mouche sur la Seine. Mais quand vous le faites, vous trouvez ça très sympa.

Une escapade en dehors de Marrakech ? Taghazout*, mon village d’enfance. J’y ai passé toutes mes vacances dans notre maison familiale depuis mes trois ans. J’y ai organisé mes premières fêtes entre copains. Aujourd’hui, c’est un peu ma bulle de déconnexion qui permet de couper de son quotidien. Un autre concept du luxe : « no shoes, no news ». (*) Taghazout, village de pêcheurs et surfeurs situé en bord d’Atlantique, au nord d’Agadir, à 200 km de Marrakech.

Thé à la menthe ou kahwa ? Thé à la menthe bien sucré !

Tagine ou couscous ?  Les Deux. Le tagine au citron confit, un classique mais il reste mon préféré. Le couscous bien évidemment, avec une mention spéciale pour celui à la semoule d’orge, rarement proposé dans les restaurants, mais que l’on trouve sur la table des familles marocaines. Et pour aller plus loin, quelle est votre avis sur la cuisine marocaine ? J’aime beaucoup la cuisine marocaine. En fait, j’aime le monde culinaire en général et l’idée d’un bon repas convivial. Dans toutes les grandes cuisines mondiales, il y a la cuisine ‘noble’ et la cuisine ‘populaire’. Le Maroc a une très forte tradition culinaire et ces deux cuisines sont toutes aussi intéressantes. On a tendance à citer les grands plats marocains, pourtant, une Tangia ou ‘Chwa’ (= grillade) a autant d’intérêt qu’un Couscous ou un Tagine.

Artisanat ou design ? Les deux Mon Commandant ! Le Maroc a cette incroyable richesse artisanale, c’est incontestable. Mais ce qui est incroyable, c’est la capacité des artisans à se renouveler sans cesse et à faire preuve de créativité et de modernité. Le socle de leur travail est classique, il le cultive et le font évoluer pour s’offrir ensuite, ce champ de liberté lié à la création et au design. Lorsqu’on voyage dans le monde, on s’aperçoit que c’est une véritable compétence des marocains et une vraie fierté.

Palais ou musée ? Musée. La Medersa Ben Youssef, joyau architectural fabuleux et lieu de mémoire d’une grande civilisation, de ses savants et des grands penseurs de l’empire arabe.

Montagne ou désert ? Plutôt montagne de par sa proximité. Lorsqu’on vit dans une ville tumultueuse comme Marrakech, on a besoin de prendre l’air et de se ressourcer ailleurs. Les montagnes marocaines sont très particulières, à la fois une impression de bout du monde presque biblique et qui invite à un apaisement ultime loin de nos folies et de nos maladies… A la fois une immersion dans la culture des berbères vivant dans ces villages en terrasses. Le Haut Atlas évoque aussi des souvenirs. Mon enfance a été rythmée par des stages de ski à Oukaïmeden* dès l’âge de quatre ans jusqu’à mes dix-huit ans. (*) Oukaïmeden se trouve à 70 km de Marrakech (1h30 de route)

Le mot de la fin : « Tfadal » (= bienvenue)

 

Rédaction : Wafa LAKSIRI

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